Approche interdisciplinaire du thermalisme et des villes thermales : Exploitation de la ressource « eau « , patrimonialisation, adaptabilité du milieu
Séance coordonnée par Marie-Ève FÉRÉROL,
Docteur-qualifiée maître de conférences en géographie-aménagement
Au milieu du XVIIIe siècle, par l’action de l’aristocratie britannique, des stations bien particulières se multiplient : les « pleasures resorts » (MIT, 2005). Dans ces dernières (Bath, Turnbridges Wells, Epson…) sont ouvertement recherchés le bien-être, les loisirs et le droit de ne rien faire. L’exemple anglais s’exporte rapidement sur le continent et les stations thermales deviennent des étapes incontournables dans le périple des élites britanniques et européennes. En France, à partir du Second Empire, aristocratie et bourgeoisie séjournent volontiers dans les stations thermales, endroits où il faut être vu. Sous couvert d’entretien de sa santé, cette clientèle aisée est en fait majoritairement en quête d’hédonisme, d’oisiveté et de légèreté (Gerbod, 2004 ; Boyer, 2005 ; Venayre, 2012). La situation change après la Seconde Guerre Mondiale. 1947 est en effet une date-clé dans l’histoire du thermalisme français, signifiant la fin d’un certain art de vivre à la française, art de vivre qui faisait accourir dans les principales stations une clientèle fort variée, cosmopolite, dont le point commun était d’être fortunée. Dans la lignée de la création de la Sécurité Sociale, les cures thermales – assignées désormais à un protocole strict et à une durée limitée- sont remboursées au même titre qu’un médicament. C’est le début du thermalisme social avec un afflux massif d’assurés sociaux dans les stations et ce, jusqu’en 1988.
Ce dynamisme de l’activité thermale a-t-il suscité de la curiosité auprès de la communauté des géographes français ? À l’évidence, pas tellement. À l’opposé, les plus prolifiques sont sans conteste les historiens ou les médecins (cf. le Portail Persée). Les premiers centrent leurs recherches sur l’Antiquité ou sur les années fastes du thermalisme tandis que les seconds confirment leur mainmise sur cette activité depuis l’après-guerre. Nous pouvons malgré tout citer un article de R. Balseinte en 1955 (RGPSO), typique de la géographie de cette époque. Elle se révèle ainsi très descriptive avec simplement la répartition des stations, le nombre de curistes, les possibilités d’attraction que donnent les moyens d’accès et les données climatiques illustrées de diagrammes ombro-thermiques. L’année suivante, La Documentation Française Illustrée consacre un de ses numéros au thermalisme, attestant l’importance économique et aménagemental qu’on donne à cette activité (recension de l’ouvrage par J. Beaujeu-Garnier dans l’Information Géographique). Il faut ensuite attendre 20 ans pour que F. Reitel (Mosella 1975) se lance dans une « contribution à la géographie médicale et l’aménagement du territoire ». L’article est dans la même veine que celui de Balseinte avec la présentation des caractéristiques physiques des eaux accompagnée simplement de six mini-monographies. C’est à cette époque que C. Jamot commence sa thèse sur le thermalisme et les villes thermales en France. Quand il la publie en 1988, la crénothérapie vit ses dernières heures de prospérité. Dans les années 1990-2000, commence en effet une crise structurelle et conjoncturelle sans précédent aux causes multiples (Conseil National du Tourisme, 2011). Les stations thermales sont vues comme uniquement des villes de soins, accueillant une clientèle âgée. Cette mauvaise image a-t-elle été un repoussoir pour les chercheurs ? Ont-ils eu peur que le milieu scientifique trouve leur recherche « ringarde » à l’image d’une activité qui apparaissait comme d’un autre temps ? Quoiqu’il en soit, très peu de géographes vont s’y intéresser (on peut quand même citer une communication d’O. Bessy en 1992).
En parallèle de la reprise spectaculaire de l’activité thermale dans les années 2010, on remarque un renouveau de la recherche en France. Hormis les travaux de M.E. Férérol depuis 2015 et la récente thèse de G. Pfund (2021), ce renouveau provient de disciplines autres que la géographie : sciences de gestion (Freire, 2013 ; Ramon Dupuy, 2017), STAPS (Sonnet, 2020). Il est donc temps que les géographes s’emparent de ce sujet « outil d’aménagement du territoire dans la mesure où il est présent dans certaines parties du territoire, notamment rurales ou montagnardes, où l’économie est peu diversifiée et parfois en déclin » (Dord et Dubié, Rapport de l’Assemblée Nationale, 2016 : 14).
Aussi, cette séance s’inscrit dans un mouvement d’émulation autour du thermalisme que ce soit sur le plan de la recherche ou sur le plan économique avec la nomination en 2021 d’un coordinateur interministériel en charge de la relance du thermalisme et du tourisme de montagne (mission renouvelée en juillet 2023) et la présentation en 2022 d’un Plan de soutien et de développement des stations thermales par J.-B. Lemoyne, Ministre délégué chargé du tourisme.
Cette journée de l’Association de Géographes Français apparaît comme une opportunité de contribuer à revisiter et actualiser le champ du thermalisme. Elle a pour objectif d’interroger la place actuelle du thermalisme dans nos sociétés et son impact sur les territoires et les différentes manières d’exploiter l’eau thermale. Les angles d’approche sont variés. Eu égard à la richesse des perspectives, quatre axes principaux vont occuper cette séance de l’AGF.
– l’adaptabilité du thermalisme ces vingt dernières années ;
– l’eau thermale, comme manne économique à exploiter ;
– la gestion du patrimoine thermal, que ce soit en termes urbanistiques ou à des fins touristiques ;
– le thermalisme à l’international.
Les communications venant d’autres disciplines (histoire, sociologie, sc. de gestion, STAPS, géologie…) seront appréciées pour une approche interdisciplinaire du sujet.
L’axe 1 permettra de réfléchir à l’adaptabilité du thermalisme à la société actuelle. La dictature du bien-être imposée par les médias actuels, une politique nationale de prévention liée au vieillissement de la population, la vogue des soins naturels sont autant de facteurs positifs pour le développement du thermalisme. Mais ce dernier doit faire face à de nombreux concurrents (centres de thalassothérapie, spas urbains). Outre l’adaptabilité du produit (cures de remise en forme, stations de pleine santé, etc), on peut aussi s’interroger sur l’adaptabilité organisationnelle du secteur. Pensons aux clusterx Aqui O Thermes ou Innovatherm qui font fi des concurrences classiques entre stations pour s’unir et gagner des parts de marché.
L’axe 2 abordera le thermalisme sous l’angle d’une ressource économique. Si les effets du thermalisme sont sujets à caution, il est indéniable qu’il génère un nombre conséquent d’emplois, des effets commerciaux indirects et des subsides financiers aux communes. Cet apport financier venant en partie de l’exploitation de l’eau thermale questionne le modèle économique. L’eau thermale : « Est-ce un bien public qui appartient à tout le monde ou un bien marchand à mettre en valeur sur le plan économique ? (Pfund, 2021). Logiquement, elle est un bien public, qui sort naturellement d’un griffon ; pourtant, elle est privatisée et vendue. Si l’eau thermale est utilisée en priorité pour les activités curatives et ludiques, elle commence aussi à être exploitée par certaines communes comme une nouvelle source d’énergie par des travaux de géothermie. Enfin, n’oublions pas que le thermalisme est un tourisme à part entière apportant des dividendes.
Les villes thermales sont au final des systèmes dans lesquels interviennent de multiples acteurs avec chacun leurs propres intérêts : élus, médecins, professionnels du tourisme (que ce soit les OT, les groupes privés qui investissent dans l’exploitation de l’eau thermale, des hôteliers…), de la géothermie, etc. Quelles relations ces acteurs entretiennent-ils entre eux (alliances, luttes, recherche de domination) ? Comment sont gérées et développées les stations thermales ?
L’axe 3 renvoie à la question de la gestion du patrimoine thermal hérité des siècles précédents. Atouts pour certains, contraintes financières pour d’autres, les friches thermales sont très souvent source de discussion au sein des conseils municipaux. Quels nouveaux usages à donner en effet aux bâtiments thermaux désaffectés ? Certaines collectivités ont travaillé sur la mise en patrimoine des paysages thermaux. Leurs efforts se sont concrétisés en 2021 par l’inscription en réseau de onze villes d’eaux d’Europe au patrimoine mondial de l’Unesco. Cette inscription est-elle un levier pour le développement d’un tourisme patrimonial ? Est-ce un outil au service d’un marketing territorial ?
L’axe 4 permettra d’ouvrir la séance à l’international en s’interrogeant sur le rôle culturel qu’ont les pratiques thermales dans certains pays. On pense notamment au Japon avec les onsens ou à l’Europe de l’Est où les bains font partie intégrante du mode de vie (en Hongrie par ex.). Qu’en est-il en Amérique du Nord qui n’a pas le passé thermal français, voire européen, hérité de l’Antiquité ? Ce regard sur l’étranger permettra de s’interroger sur le modèle français, en particulier sa facette (trop ?) médicale.
Modalités de soumission :
Les propositions de communication (500 mots environ sans bibliographie) accompagnées de 5 mots-clés sont à envoyer – au plus tard – le 1er septembre 2024 accompagnées d’un titre et d’une courte présentation de l’auteur (statut, université́ ou organisme de rattachement, laboratoire de recherche …) à Marie-Ève FÉRÉROL à l’adresse suivante : mefererol@gmail.com.
Les réponses aux propositions de communications seront données à leurs auteurs au plus tard le 1er novembre 2024.
La journée se déroulera le 7 décembre 2024 à l’Institut de Géographie de Paris, 191, rue Saint-Jacques – 75 005 Paris.
À l’issue de la journée d’étude, les textes sélectionnés seront édités dans un numéro de la revue de l’AGF, le BAGF (Bulletin de l’Association de Géographes Français). Informations disponibles sur OpenEdition Journals :URL https://journals.openedition.org/bagf/