Les dimensions géographiques des séries – Saison 2

PROGRAMME

Les dimensions géographiques des séries – Saison 2

– Séance du 12 octobre 2024 –
Institut de géographie
191, rue Saint-Jacques – 75 005 – Paris

Séance coordonnée par :

 

Pierre Denmat, Doctorant en géographie, Université Paris Nanterre, LAVUE – équipe Mosaïques, Professeur de géographie en CPGE, Lycée La Bruyère, Versailles

Monica Michlin, Professeure en études américaines contemporaines, Université Paul Valéry Montpellier 3, UR 741 EMMA.

Marie-Laure Poulot, Maîtresse de Conférences en géographie, Université Paul Valéry Montpellier 3, UMR 5281 ART-Dev.


– PROGRAMME –

 

09h30 – 10h15 : Introduction 

Pierre DENMAT, Agrégé de géographie, doctorant à l’Université Paris Nanterre, LAVUE (équipe Mosaïques), UMR 7218 ; Monica MICHLIN, Professeure en études américaines contemporaines, Université Paul-Valéry – Montpellier 3, UR 741 EMMA ; Marie-Laure POULOT, Maîtresse de Conférences en géographie, Université Paul-Valéry – Montpellier 3, Laboratoire ART-Dev – Acteurs, ressources et territoires dans le développement, UMR 5281.

« Dimensions géographiques des séries télévisées : quelles méthodologies d’études spatiales des séries télévisées »

 

Approches interdisciplinaires de l’espace urbain dans les séries (10h-13h)

Présidence : Edith FAGNONI

Professeure de géographie, Sorbonne Université, Laboratoire Médiations, sciences des lieux – sciences des liens, EIREST Université Paris1 Panthéon-Sorbonne (membre associé), Présidente de l’Association de Géographes Français (AGF).

10h15 : Saisir les séries

 – 10h15 : Raimondo LANZA, Doctorant, École doctorale de géographie de Paris, UMR PRODIG, Université Paris1 Panthéon-Sorbonne.

« Le centre se moque des périphéries : les espaces urbains dans la série humoristique russe Kamedi Klab »

Résumé :

La communication entend montrer comment Kamedi Klab, la série humoristique la plus populaire de Russie1 , diffuse des imaginaires et des stéréotypes sur plusieurs villes russes. Depuis 2005, cette émission est enregistrée à Moscou et transmise une fois par semaine sur la chaîne nationale TNT appartenant à la société gazière Gazprom. Le matériel pour cette communication est tiré de ma recherche doctorale (commencée en 2023), qui porte sur les imaginaires géographiques et géopolitiques véhiculés par l’humour télévisé russe au cours des derniers vingt ans2 . Si la plupart des sketches de Kamedi Klab prennent pour cible différents pays dans le monde en utilisant la flatterie et la moquerie, au gré d’alliances ou de rivalités qui alternent au fil du temps, une part considérable des traits d’humour vise aussi Moscou et d’autres villes russes, pointant aussi du doigt entre autres les disparités économiques, sociales et culturelles au sein de leur population. Il ne s’agit pas ici de montrer comment les espaces urbains réels sont reproduits à la télévision russe, mais d’étudier comment ces espaces y sont imaginés et représentés. Moscou, centre politique et économique du pays, est la ville la plus souvent mentionnée (100 fois), dans un contexte international mondial mais aussi micro-locale (des rues, des quartiers, etc.). Les comédiens prennent pour cible d’un côté des quartiers de Moscou peuplés par les immigrés du Caucase et d’Asie centrale (Butovo mentionné 11 fois, Zhulebino 3 fois et Bibirevo, 5 fois) et réputés insalubres et de l’autre côté les rues habitées par des milliardaires (la rue Rublevka, mentionnée 12 fois).

Kamedi Klab diffuse des images stéréotypées déjà bien établies de certaines villes (Saint Pétersbourg – capitale culturelle, Souzdal et Kostroma – centres des traditions et folklore russes, Syzran – ville moche et triste, etc.). La série fait de l’humour à propos des mutations qui en traversent d’autres. Sotchi (mentionnée 15 fois), ville de Russie méridionale, est un exemple : lieu de villégiature depuis l’époque soviétique, en juillet 2007 la ville est choisie pour accueillir les Jeux Olympiques d’hiver 2014. Kamedi Klab participe à l’augmentation soudaine et spectaculaire de l’exposition médiatique de Sotchi tout en ironisantsurses mutations urbaines et sociales. Les comédiens qui jouent dans l’émission soutiennent le rôle international de Sotchi et sont fiers du prestige que cela donne à la Russie. Ils semblent minimiser les potentielles complications liées aux JO (climat chaud, tensions géopolitiques dans le Caucase etc.) On peut se demander si cet humour télévisé met en lumière la complexité et la diversité des réalités urbaines russes, ou s’il reflète et promeut principalement les intérêts d’un centre économique, politique et “ethnique” dominant une périphérie gigantesque, qui cherche son chemin entre stratégies de développement local et dépendance au centre tout-puissant.

11h : Les échelles spatiales et temporelles des mutations urbaines au prisme des séries

 

– 11h : Marie-Hélène CHEVRIER, Maîtresse de Conférences en géographie, Institut Catholique de Paris, membre de l’unité de recherche « Religion, Culture, Société » (EA 7403).

« De décor à quasi-personnage : l’intégration progressive de la ville au coeur de la fiction télévisuelle à travers l’exemple de la série Leverage (2008-2012) et de sa suite, Leverage Redemption (2020 – ) »

 

Résumé :

Dans certaines villes, les gens sont blasés par les tournages. A Portland, les gens nous apportent du lait et des cookies », affirme en 2010 le producteur et réalisateur américain Dean Devlin au magazine Oregon Business. Pourtant, Leverage, la série qu’il tourne à Portland au moment de cette déclaration met en scène une équipe d’arnaqueurs, « Robin des Bois des temps modernes », opérant à… Boston. Pour bien marquer cet ancrage territorial, le quartier général de l’équipe, filmé dans chaque épisode ou presque, est d’ailleurs un pub irlandais, censé être un marqueur de l’importance de la diaspora irlandaise caractéristique de la côte Est des Etats-Unis.

Comptant 5 saisons et 77 épisodes originels diffusés pour la première fois entre 2008 et 2012 puis une reprise (Leverage : Redemption) depuis 2020, Leverage constitue un exemple remarquable de série dans laquelle le territoire est passé de simple décor à prescripteur de l’intrigue. Après une saison pilote à Los Angeles (tournée in situ), le scénario délocalise donc ses héros à Boston, figurée à l’écran par Portland, durant trois saisons. La qualité de travail est jugée si bonne par l’équipe de la série que l’intrigue est adaptée pour justifier une relocalisation des personnages à Portland qui alors, dans une dernière saison, sera enfin filmée pour elle-même. Revenant sur les écrans en 2020, c’est désormais à la Nouvelle-Orléans qu’évoluent les personnages et que sont tournés les nouveaux épisodes, la ville et ses coutumes étant cette fois intégrés au scénario dès le début de la première saison.

Plusieurs éléments seront étudiés à travers le cas de cette série, dans une perspective diachronique permise par sa longévité. Tant par l’analyse de l’image que par celle du paysage sonore et de la musique, nous nous intéresserons à la manière dont une ville peut devenir la doublure d’une autre (sorte de « faux authentique » tel que défini par D. Brown ?), processus habituel au cinéma mais sans doute moins fréquent dans les séries, qui impliquent de faire durer l’illusion plusieurs années.

Nous mettrons également en lumière la manière dont, ici, l’ancrage territorial est devenu progressivement prescripteur de l’intrigue. Serait-ce le reflet d’un « tournant spatial » dans la fiction ? Cela témoigne pour le moins d’une évolution dans les représentations : Portland, d’abord négligée, devient soudain un territoire méritant d’être médiatisé, tandis que la Nouvelle-Orléans et l’imaginaire qu’elle convoque sont utilisés pour attirer de nouveaux spectateurs lors de la reprise de série. Cela nous amènera à réfléchir à la relation dialectique entre ville et production audiovisuelle.

 

 

– 11h45 : Pierre Denmat, Agrégé de géographie, Doctorant à l’Université Paris Nanterre, laboratoire LAVUE (équipe Mosaïques).

« Faire ville à partir d’un corpus : les dynamiques urbaines new-yorkaises en action dans les séries »

 

Résumé :

Les séries télévisées font l’objet de nombreuses réflexions de la part des géographes depuis une décennie. Toutefois, aucune méthode d’analyse en géographie n’a été formalisée jusqu’à présent. Bien souvent, les études proposent une analyse d’une série et empruntent donc un angle d’analyse propre aux études cinématographiques. Cette communication propose une méthodologie qui repose sur une analyse d’un corpus de séries permettant d’analyser une ville et ses différents quartiers en s’appuyant sur des recherches doctorales. Il s’agit d’entrer par l’espace et non par la série afin de proposer une autre façon d’aborder les séries en géographie. À partir d’un corpus permettant de « reconstituer » la ville et ses différents quartiers, cet article propose une étude de la métropole new-yorkaise de façon globale. Il s’agit d’analyser les différentes dynamiques urbaines qui sont mises en scène, parfois sur le temps long au fil des saisons, tout en critiquant les choix de focalisation. Il sera ainsi question d’étudier les modalités d’écriture de la ville par les séries.

 

12h30 -13h30 : Pause déjeuner

13h30-15h : Les réceptions des représentations spatiales des séries télévisées

– 13h30 : Natacha GOURLAND, Maîtresse de Conférences en géographie, Université Évry-Val-d’Essonne, Laboratoire IDHES, rattachée au Lab’Urba et au groupe de travail Justice, Espace, Discriminations, Inégalités (groupe JEDI) du labex Futurs Urbains.

« Passer et filmer de l’autre côté du périph. Les représentations de la banlieue parisienne à travers deux séries françaises : « En place » et « 66.5 » »

 

Résumé :

La banlieue parisienne est un espace fréquemment stigmatisé dans les discours médiatiques et politiques qui la réduisent au traitement de certaines thématiques comme l’immigration, la rénovation urbaine ou l’insécurité. Cette vision englobante de « la » banlieue a des conséquences sur la manière dont les habitants de cet espace hétérogène sont représentés dans la majorité des productions culturelles. Plusieurs travaux récents ont ainsi dénoncé la stéréotypisation utilisée par des observateurs extérieurs pour décrire et filmer « la » banlieue, ses corps et ses lieux, la réduisant à un espace du moins, du manque, de la marginalisation (Niang, 2019, Schafran, et al, 2017 ; Guillard, 2016 ; Sedel, 2009). Prenant acte de ce constat, la présente proposition de communication cherche à analyser la portée et les modes de représentation de la banlieue populaire dans deux séries récentes ayant pris pour cadre la ville de Bobigny, en Seine-Saint-Denis : « En place », série politique et humoristique diffusée par Netflix en 2023 et « 66.5 », fiction judiciaire dramatique produite par Canal+ et diffusée la même année. Ces deux séries ont bénéficié d’une couverture médiatique importante lors de leur sortie et même d’un réel succès pour « En place » qui cumule plus de 16 millions d’heures de visionnage sur la plateforme Netflix (source : Netflix Engagement Report, 2023). Dans « 66.5 », le personnage principal et féminin de Roxanne (incarné par Alice Isaaz) figure une avocate quittant son cabinet parisien pour d’exercer au tribunal de grande instance de Bobigny, sa ville natale. Le cadre bascule de l’appartement haussmannien de Roxane aux barres d’immeubles de Bobigny pour nous permettre de suivre le récit de cette transfuge de classe, son retour en banlieue et le regard qu’elle pose sur cette ville qu’elle a quitté. À l’inverse, le héros de la série « En place » habite Bobigny, y exerce depuis plusieurs années en tant qu’éducateur jeunesse en MJC et n’est amené à quitter la ville que par une succession d’évènements le conduisant à s’engager en politique. En filmant les parcours d’une femme et d’un homme noir se mobilisant professionnellement « de l’autre côté du périph », ces deux séries abordent la question de la visibilité des vécus banlieusards sur le petit écran.

Quel regard ces deux productions portent-elles sur la ville de Bobigny et comment travaillent-elles l’imaginaire géographique de la banlieue ? Quels rapports sociaux de domination et quels rapports à l’espace se manifestent dans le parcours des personnages filmés ? Enfin, ces deux séries permettent-elles de rendre visible certaines pratiques et certains récits, ou reproduisent-elles au contraire certaines assignations ?

Après avoir analysé les lieux de tournage utilisés dans ces deux séries et les choix qu’ils révèlent pour représenter la banlieue parisienne depuis Bobigny, il s’agira d’interroger les pratiques spatiales qui ressortent des deux intrigues. Le point de vue des personnages de banlieusard.e.s portés à l’écran sera ensuite examiné, afin de questionner ce que révèle leurs trajectoires fictives des rapports de classe, de genre et de race qui influencent l’inégale appropriation de la petite couronne parisienne. Enfin, la réception de ces deux séries et les réactions qu’elles ont provoqué seront analysées, pour interroger ce qu’elles révèlent de la (dé)construction des stéréotypes et des débats politiques autour de la petite couronne parisienne.

– 14h15 : Benoît Bunnik, Professeur agrégé à l’INSPE de Corse, Docteur en didactique de la géographie, Laboratoire EMA, Cergy Paris Université.

« Faire territoire dans une petite ville des États-Unis à travers l’exemple deThe Society »

 

Résumé :

En 2019, la première saison (jusqu’à présent sans suite) de la série The Society montre comment un groupe d’adolescent.e.s se trouvent bloqué.e.s seul.e.s dans leur petite ville de West Ham (Connecticut, États-Unis). La série a été créée par Christopher Keyser et diffusée le 10 mai 2019 sur Netflix.

Un décompte minuté des lieux où se déroulent l’action fait apparaître, par le découpage des séquences (Amile et al., 2016), une ville insulaire (Bidou-Zachariasen et Giglia, 2012 ; Bonnemaison, 1990) semblable à la ville du Truman Show (Peter Weir, 1998), elle-même pensée en archipel où automobiles comme institutions publiques (police, justice, école) sont étrangement quasiment absentes. Sans entrer dans le détail des habitats (chambres, salons, salles de bain, …), cette représentation de la little town nord-américaine (Tovar, 2011 ; Férérol,2023) montre un territoire organisé par des « hauts lieux » (Debarbieux, 2003) que sont l’église, la mairie-bibliothèque, le lycée, l’hôpital ou le supermarché.

Ces 225 jeunes des deux sexes quasiment exclusivement blancs de 17 ans, quelques mois avant de partir à l’université, se trouvent bloqués par une forêt impénétrable et dangereuse figurant explicitement la wilderness (Thoreau, 1854 ; Arnould et Glon, 2006 ; Glon, 2006). Réfugiés dans cet isolat qui oscille entre cocon et prison, comme les enfants de Sa majesté des mouches (Golding, 1954) ou comme Robinson Crusoé (Defoe, 1719), ces jeunes adultes découvrent comment faire société (Donzelot, Mével, Wyvekens, 2003) et faire des choix politiques entre socialisme, libéralisme et autoritarisme afin d’organiser la survie du groupe.

Au-delà de ces réflexions sur ce qui fait territoire ou ce qui fait société, cette série interdite aux moins de 16 ans peut servir de base à un travail universitaire ou scolaire en géographie (Denmat, 2018) pour expliquer comment une série participe à une écriture de l‘espace (Pleven, 2015) et comprendre la société nord-américaine par l’analyse d’un espace diégétique (Gardies, 1993) particulier, celui d’une périphérie de la mégalopole du nord-est des États-Unis (ou BosWash), son mode de vie basé sur une consommation hors-sol (ce n’est que lorsque les vivres manquent que la question de leur production se pose) et sur les loisirs (sport, soirées, jeux vidéos, discussions entre pairs, utilisation des réseaux sociaux étrangement toujours actifs mais réduits aux seuls habitants de la ville) où le travail est absent de la little town périurbaine figurant aussi implicitement une gated communauty inscrite dans un territoire rural sans paysans ni autre forme de production. Une réflexion qui s’appuie également sur les travaux de Jacques Lévy (2013) sur l’espace au cinéma visant à « montrer l’invisible par le visible, en n’oubliant pas que ce n’est jamais tout à fait possible. »

Une étude qui doit prendre en compte deux éléments : celui de la longue durée de la série (dix épisodes de 48 à 61 minutes) mais aussi celui de moments plus brefs, des séquences choisies montrant ces hauts lieux et participant de la construction des représentations, comme l’église, lieu central car créateur de commun.

15h00 : Conclusion de la journée

 

 

15h30 : Fin des travaux

Modalités : Intervention 30 minutes et 15 minutes d’échanges

Argumentaire

La première saison de la journée d’étude, et le numéro spécial du BAGF (Bulletin de l’Association de Géographes Français)  associé [Poulot, Denmat et Pleven 2023], ont interrogé les dimensions géographiques des séries télévisées en faisant un état des lieux des travaux existants. Le propos était d’envisager, au travers d’exemples, les représentations d’un territoire et des horizons géographiques différents, notamment à partir de séries produites dans les Suds. Cette deuxième saison de la journée d’étude ambitionne de dépasser ces premières approches par succession d’exemples, de territoires et de séries télévisées, en questionnant notamment les méthodologies et les croisements disciplinaires pour aborder les dimensions géographiques des séries.

On propose ici de se focaliser sur les espaces urbains qui sont les plus représentés dans les séries et qui sont au cœur de la plupart des travaux en géographie sur le sujet. Ce cadre d’étude nous semble pertinent pour interroger les méthodologies d’études spatiales des séries télévisées puisqu’il permet d’inclure les travaux pionniers en études urbaines sur le sujet, notamment ceux sur Baltimore et la série The Wire [Bacqué et al. 2014] et d’envisager une perspective diachronique. Dans la lignée de ces travaux fondateurs qui ont traité les formes de saisie de plusieurs sphères urbaines en fonction des saisons, comment les séries appréhendent-elles les dimensions urbaines multiples, des mondes sociaux (du travail, de l’école, des médias), mais aussi des différentes échelles de la ville, de l’ensemble métropolitain à l’échelle micro-locale (microcosmes, quartiers, bâtiment) ? Quand certaines séries donnent à voir la ville dans son ensemble, – ainsi la saison 2 de True Detective, qui, par ses plans sur les voies autoroutières, les barrières physiques de la municipalité de Vinci, ou son approche des différentes niveaux administratifs, permet de mettre en scène le séparatisme municipal et certaines de ses conséquences, de même que la fragmentation urbaine [Davis 1990 ; Bénit-Gbaffou 2005 ; Dear 2002] – d’autres se concentrent sur un quartier, voire un bâtiment. On pourra également s’interroger sur les approches multiscalaires utilisées, avec des allers-retours fréquents entre plans d’ensemble pour situer l’action et plans plus rapprochés en intérieur – sorte de hauts-lieux sans cesse (ré)utilisés – (c’est le cas dans How I Met Your Mother par exemple). D’autres séries encore s’attachent aux espaces périphériques ou aux espaces frontaliers : Bron/Broen prend pour point de départ la découverte d’un cadavre placé sur la ligne frontalière, sur le pont de l’Øresund, reliant Copenhague (Danemark) à Malmö (Suède). Nous souhaitons ainsi interroger les échelles spatiales et temporelles des séries télévisées et des mutations urbaines. Comment les tournages s’étalant sur plusieurs années dans le cadre de saisons multiples se saisissent-ils des mutations urbaines ? Dans le cas des nouvelles adaptations, des reboot ou de suites de séries plus anciennes (comme And Just Like That… (2021), suite de la série Sex and the City (1998-2004) se déroulant toujours à New York), comment les représentations d’un même territoire évoluent-elles à travers la succession de séries sur le temps long ?

Cette attention aux espaces urbains sera aussi l’occasion d’envisager des approches interdisciplinaires et de réfléchir aux apports méthodologiques croisés entre géographie et autres disciplines pour l’étude des espaces dans les séries télévisées. En effet, avec le « spatial turn » [Soja 1989], les autres disciplines des sciences humaines et sociales s’emparent de thématiques et d’approches nouvelles, étudient des objets culturels, tels que les séries, à travers le prisme de l’espace et portent une attention plus forte aux phénomènes et processus d’ordre spatial [Volvey, Stock et Calbérac 2021]. Mais dans le même temps, la géographie qui s’attache aux objets culturels – comme les séries télévisées – dans une approche culturelle, en s’intéressant aux représentations, aux imaginaires ou encore à la réception des œuvres, s’appuie sur des outils et méthodes empruntant aux autres disciplines [Guinard, 2019]. La mobilisation de méthodes propres à la géographie peut recouper certaines des méthodologies mises en œuvre pour d’autres œuvres de fiction : cinéma, roman, etc : lesquelles et avec quelles différences ? Quels sont les apports des autres disciplines – en arts, histoire [voir, par exemple, Boutet 2023], études anglophones [voir, par exemple, Coulomma et Pichard 2020 et Adjerad et al. 2023] ou en sciences de l’Information et de la communication [voir, par exemple, Combes 2015 ou Favard 2015] ou plus largement en sciences sociales [Sepulchre 2017] – pour l’étude géographique des séries télévisées ? De surcroît, puisque « “L’objet séries” reliant texte, langue, regards, gestes, images, caméra, contexte sur le temps long des saisons, semble également inviter, dans sa multimodalité même, un remodelage des lignes disciplinaires » [Cornillon, Michlin et Sorlin 2023], comment envisager des analyses transdisciplinaires ?

Nous évoquerons notamment quelques croisements susceptibles d’éclairer la thématique de cette seconde journée d’étude. Ainsi, les visual studies [Rose, 1996] se sont intéressées aux représentations des relations sociales dans les images mais aussi aux théories féministes dans le cinéma. Elles peuvent ainsi apparaître comme une méthodologie fertile pour l’analyse des séries. De même, l’approche par les paysages sonores, ou soundscapes [Schafer, 1977], au sens large peut apporter une autre lecture des séries entre l’analyse des musiques, des bruitages mais aussi des paysages linguistiques. Enfin, en s’inspirant des méthodologies développées dans les études littéraires, la narratologie des séries propose une écriture originale des espaces. L’approche par la méthodologie est une façon de faire une synthèse des différentes approches spatiales des séries télévisées afin de pouvoir constituer un champ d’étude solide, comme cela a déjà été fait dans d’autres disciplines telles que les études anglophones ou les sciences de l’information et de la communication.

En dernier lieu, nous souhaitons interroger la réception des représentations spatiales des séries. Les difficultés méthodologiques quant à la définition d’un panel d’enquêtés pour analyser la réception des séries a probablement été un des freins majeurs à ce type de travaux. Cette journée pourra être l’occasion de discuter des méthodologies à mettre en œuvre pour y parvenir. La réception des séries a déjà été interrogée dans le domaine scolaire [Garcia et Leroux 2015 ; Denmat 2021 ; Didier et Gomes 2022 ; Bunnik 2023]. Cette journée pourra être l’occasion de poursuivre la réflexion dans ce domaine mais aussi de l’élargir à toute autre étude qui aurait pu être réalisée.


Nous attendons des propositions autour des quatre axes indiqués ci-dessous, à savoir :

  • Les échelles spatiales et temporelles des sphères et mutations urbaines au prisme des séries
  • Les approches disciplinaires et interdisciplinaires de l’espace urbain dans les séries
  • Les modes de représentations des espaces urbains : approches méthodologiques
  • La réception des représentations spatiales des séries.

 

pierre.denmat@gmail.com,

marie-laure.poulot@univ-montp3.fr

monica.michlin@univ-montp3.fr

La journée se déroulera le 12 octobre 2024  

 à l’Institut de géographie à Paris, 191, rue Saint-Jacques – 75 005 Paris.

À l’issue de la journée d’étude, les textes sélectionnés seront édités dans un numéro de la revue de l’AGF, le BAGF (Bulletin de l’Association de Géographes Français). Informations disponibles sur OpenEdition Journals : URL  https://journals.openedition.org/bagf/

Bibliographie :

– Adjerad G., Bekhtari G., Crémieux A., Finch C. et Gervais L  (2023) « Queering the City : Introduction », Transatlantica [En ligne], 2 | 2023, URL : http://journals.openedition.org/transatlantica/21771

– Ambal J. et Favard F. (2023) « Espace et arène dans les séries télévisées : enjeux méthodologiques des approches narratives », Bulletin de l’association de géographes français, 100-4 | 2023, URL : http://journals.openedition.org/bagf/11642

– Bacqué MH., Flamand A., Paquet-Deyris AM., Talpin J. (dir.) (2014) The Wire. L’Amérique sur écoute, Paris, Montréal, La Découverte.

– Bénit-Gbaffou C. (2005) « Politique des transports collectifs et démocratie locale à Los Angeles : entre participation et fragmentation », Flux, 2005/2 n° 60-61, p. 6-22.

– Boutet M. (2023) Faire écran. Les réécritures de la Seconde Guerre mondiale dans les séries télévisées au temps de la guerre froide, Presses universitaires du Septentrion, 362 p.

– Bunnik B. (2023) « Utiliser la série télévisée Frontera Verde pour se représenter le territoire amazonien », Bulletin de l’association de géographes français, 100-4 | 2023, URL : http://journals.openedition.org/bagf/11748.

– Combes, C. (2015) « Du “rendez-vous télé” au binge watching : typologie des pratiques de visionnage de séries télé à l’ère numérique‪ », Études de communication, vol. 44, no. 1, 2015, pp. 97-114.

– Cornillon C., Michlin M. et Sorlin S. (2023) « Introduction : Ce que les séries ”font” aux disciplines universitaires », TV/Series [En ligne], 22 | 2023 URL : http://journals.openedition.org/tvseries/7281

– Coulouma F., Pichard A. (2020) « Introduction », Séries et espace, TV/Series [En ligne], 18 | 2020. URL : http://journals.openedition.org/tvseries/4458

– Davis M. (1991) City of Quartz, Londres, Verso.

– Dear M. J. (dir.) (2002) From Chicago to L.A., Making Sense of Urban Theory, Thousands Oaks, Sage Publications.

– Denmat, P. (2021). « Les séries télévisées ou la réécriture de la ville : regards croisés entre Johannesburg et New York ». Annales de géographie, 739/740, p. 17-37. https://doi.org/10.3917/ag.739.0017

– Didier, S. & Gomes, P. (2022) « Enseigner la controverse en urbanisme grâce à Show Me a Hero ». Espaces et sociétés 184/185, p. 201-217. https://doi.org/10.3917/esp.184.0201

– Florent F. (2015) La promesse d’un dénouement : énigmes, quêtes et voyages dans le temps dans les séries télévisées de science-fiction contemporaines. Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne – Bordeaux III, 2015.

– Garcia, P. & Leroux, S. (2015) ‪« Mobiliser la série The Wire en géographes : retour sur une expérience pédagogique »‪. Quaderni 88, p. 93-102. https://doi.org/10.4000/quaderni.931

– Guinard P. (2019) – Géographies culturelles : objets, concepts, méthodes, Malakoff, Armand Colin, 208 p.

– Poulot M.-L., Demnat P., Pleven B. (dir.) (2023) Numéro spécial « Dimensions géographiques des séries télévisées », Bulletin de l’association de géographes français, 2023/2. « Qu’est-ce que le « spatial turn » ? », Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 30 | 2017, mis en ligne le 03 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/rhsh/674

– Schafer R. (1979) Le Paysage sonore. Toute l’histoire de notre environnement sonore à travers les âges, Paris, Éditions Jean-Claude Lattès.

– Sepulchre S. (2017) Décoder les séries, De Boeck supérieur, 282 p.

Soja E. (1989) Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Social Theory, Londres, Verso.

– Volvey A., Stock M., Calbérac Y. (2021) « Spatial Turn, tournant spatial, tournant géographique » in Vincent Clément ; Mathis Stock; Anne Volvey (dir.), Mouvements de géographie. Une science sociale au tournant, Presses Universitaires de Rennes, Espace et Territoires.


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