
– Samedi 13 décembre 2025 –
Les reliefs artificiels et artialisés :
un patrimoine anthropo-géomorphologique ?
Séance coordonnée par :
François Bétard
Professeur des Universités en géographie, Sorbonne Université, UR Médiations : sciences des lieux, sciences
francois.betard@sorbonne-université.fr
Claire Portal
Maître deCconférences en géographie, Université de Poitiers, Laboratoire MIMMOC (UR 15072)
claire.portal@univ-poitiers.fr
Théophile Piau
Docteur en géographie, Université Paris Cité, UMR 8586 PRODI
La séance du samedi 13 décembre 2025 est conjointement organisée par l’AGF (Association de Géographes Français) et la Commission Patrimoine géomorphologique du CNFG (Comité National Français de Géographie)
Institut de Géographie, 191, rue Saint-Jacques 75005 – Paris. Petit Amphi
Participation gratuite, dans la limite des places disponibles.
Inscription obligatoire : assogeoagf@gmail.com
Programme
9h00-9h30 : Accueil café dans le hall de l’IG
9h30-9h45 : François BÉtard, Claire Portal, Théophile Piau : introduction à la séance thématique
9h45-10h10 : Emmanuel Reynard : « Les reliefs produits par l’agriculture : typologie, évolution et enjeux de gestion »
10h10-10h35 : Alain Marre : « Les modifications du relief dans le vignoble champenois et leurs conséquences géomorphologiques et économiques »
10h35-11h00 : Magali Watteaux : « Modelés et formes agraires dans la longue durée : une histoire complexe appréhendée par l’archéogéographie et l’archéologie des paysages »
11h00-11h15 : Pause-café dans le hall de l’IG
11h15-11h40 : Éric Masson : « Patrimonialisation des reliefs artificiels du Nord : l’exemple du site Chabaud-Latour de Condé-sur-l’Escaut »
11h40-12h05 : Stéphane Cordier et al. : « Étudier la géodiversité dans des territoires industrialisés et urbanisés : géosites et anthropogéosites en Lorraine (NE France) »
12h05-12h30 : Léopold Barbier et al. : « Mise en spectacle et stratégies d’acceptabilité des activités minières, l’exemple de Kiruna (Suède) »
12h15-14h15 : Pause déjeuner
14h15-14h40 : Ferréol Salomon : « De la fabrique à la patrimonialisation des paysages culturels deltaïques : une lecture géoarchéologique et géohistorique »
14h40-15h05 : Rémi de Matos-Machado : « Polémoformes des conflits contemporains : vers un inventaire assisté par IA »
15h05-15h30 : Ottone Scammaca et Arnaud Heuret : « Géomorphodiversité anthropique de Guyane française : dégradation environnementale ou géopatrimoine ? »
15h30-15h55 : Fabien HoblÉa et al. : « Les modelés anthropiques des versants alpins : des éléments de la géodiversité et des géopatrimoines montagnards ? »
15h55-16h15 : François BÉtard, Claire Portal, Théophile Piau : synthèse de la journée et mots de conclusion
16h15 : Fin des travaux
Éléments de Cadrage
Cette journée d’étude, portée conjointement par l’AGF et la Commission Patrimoine Géomorphologique du CNFG (Comité National Français de Géographie), interroge la place des reliefs artificiels et artialisés (i.e. transformés/transfigurés par l’art) au sein de la géodiversité et du patrimoine géomorphologique.
Dans la 2nde édition de son ouvrage Geodiversity: Valuing and Conserving Abiotic Nature, le géographe britannique Murray Gray définit la géodiversité comme « la variabilité naturelle des caractéristiques géologiques (roches, minéraux, fossiles), géomorphologiques (formes du relief, topographie, processus), pédologiques et hydrologiques », incluant « leurs assemblages, structures, systèmes et contributions aux paysages » (Gray, 2013). Cette définition, aujourd’hui largement admise et abondamment reprise dans la littérature scientifique, exclut de facto les formes et processus anthropiques. La définition officielle donnée par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) tend également à exclure les reliefs anthropiques, en considérant la géodiversité comme « la variété de roches, minéraux, fossiles, reliefs de terrain, sédiments et sols, ainsi que les processus naturels qui les forment et les altèrent » (Croft et al., 2021). À l’inverse, d’autres auteurs prônent une approche holistique et suggèrent une ouverture et un élargissement du concept à la géodiversité artificielle et artialisée (Bétard, 2017 ; Portal & Bétard, 2019).
Au sein de la communauté des géomorphologues, il existe aussi un débat pour savoir si les reliefs artificiels ou artialisés font partie du patrimoine géomorphologique ou si ces éléments relèvent strictement du patrimoine culturel. Dans la large gamme des reliefs anthropiques, les objets concernés sont variés à l’image des mines et terrils, des versants aménagés en terrasses de cultures, des parcs et jardins paysagers, des terrassements et travaux hydrauliques, des mottes castrales et des éperons barrés, des polémoformes (cratères d’obus, tranchées et boyaux, entonnoirs de mine…), des grottes aménagées par les communautés préhistoriques, etc. L’étude de ces objets s’inscrit typiquement dans le champ de la géomorphologie culturelle, qui vise à étudier « la composante géomorphologique d’un territoire comme élément de culture du paysage et pour ses interactions avec les biens culturels de type archéologiques, historiques, architecturaux, etc. » (Panizza & Piacente, 2003). Objets inclassables, les reliefs artificiels et artialisés pourraient alors être considérés comme un patrimoine hybride, anthropo-géomorphologique, faisant l’objet d’une patrimonialisation à différents niveaux pouvant aller jusqu’à l’inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco (exemple du bassin minier et des terrils du Nord de la France, inscrits en 2012 au titre des paysages culturels, évolutifs et vivants).
Cette journée d’étude s’attachera donc à nourrir le débat et à mobiliser diverses études de cas afin de réinterroger la place de ces objets artéfactuels dans les formes de patrimonialisation de la nature et des paysages, tout en questionnant les limites ontologiques des concepts de géodiversité et de patrimoine géomorphologique. Le concept oxymore de « nature-artefact », proposé par C. Bertrand & G. Bertrand (2014), constitue alors un cadre théorique pertinent, où « l’artus factum est le produit, à partir de la matérialité de la nature, de l’activité humaine dans sa globalité indissociable à la fois idéelle et matérielle. Qu’elle soit créatrice ou destructrice, c’est-à-dire sans a priori et jugement de valeur ». Pour l’objet « relief » qui nous intéresse ici, cela revient à distinguer :
– l’anthropisation des reliefs, au sens d’impact matériel sur les paysages géomorphologiques, dont l’une des premières manifestations en Europe, à partir du Néolithique, a été l’érosion des sols consécutive aux premiers défrichements (impacts indirects) et l’ouverture de carrières de pierre pour l’édification de mégalithes (impacts directs) ;
– l’artialisation des reliefs, au sens large de transformation-transfiguration des paysages géomorphologiques par toutes les formes de représentations artistiques, incluant l’art rupestre préhistorique, la peinture de paysage (du romantisme au post-impressionnisme), l’art et l’architecture des jardins ou encore des formes d’art plus contemporain comme le Land Art.
Les communications présentées s’intègreront dans trois axes différents :
Axe 1 – Paysages géomorphologiques partiellement ou totalement artificialisés
Les communications porteront sur un large éventail de paysages géomorphologiques (paysages de plaine ou de montagne, paysages ruraux ou urbains, paysages de surface ou souterrains…) où la part des modifications anthropiques peut aller de la simple retouche morphologique (ex : versant aménagé en terrasses pour la culture de la vigne) à l’artificialisation complète (ex : butte artificielle constituée de déblais miniers ou de déchets inertes). Il s’agira de décrire ces paysages et reliefs artificialisés et d’expliquer l’origine et l’ampleur des bouleversements induits, puis de débattre de leur appartenance à la géodiversité et au géopatrimoine, voire de leur contribution à la biodiversité actuelle (Frochot & Godreau, 1995 ; Bétard, 2013). Dans ces communications, il pourra être question des valeurs patrimoniales associées à ces paysages et reliefs artificiels (ex : valeur géoscientifique et valeurs additionnelles dans le cadre de l’inventaire des géomorphosites : Reynard, 2005 ; Reynard et al., 2016) ainsi que des moyens mis en place pour leur protection et leur mise en valeur à des fins touristiques et/ou pédagogiques. L’analyse de géomorphosites culturels (ou « sites géoculturels » : Fraj et al., 2023), qui combinent une haute valeur scientifique et une forte valeur culturelle, sera particulièrement discutée.
Axe 2 – Approches méthodologiques des reliefs artificiels
Les communications de l’axe 2 porteront plus spécifiquement sur les approches méthodologiques et les outils mobilisés pour appréhender les reliefs artificiels. Les approches géoarchéologiques (Borderie et al., 2020 ; Piau et al., 2023), archéogéographiques (Watteaux, 2014) ou archéo-géomorphologiques (Delannoy et al., 2022) seront plus particulièrement mises en avant : les démarches et méthodes qui y sont associées permettent d’appréhender la construction passée des reliefs anthropiques et les modalités de leur aménagement par les sociétés anciennes ou récentes, de la préhistoire jusqu’aux conflits contemporains. Du point de vue des outils mobilisés, la télédétection LiDAR offre des potentialités élevées pour détecter les micro-reliefs anthropiques (notamment en milieu forestier), en faire une cartographie exhaustive et mesurer l’ampleur des bouleversements géomorphologiques induits (De Matos-Machado et al., 2019 ; Ancelin et al., 2024). La mise à disposition récente des données LiDAR HD de l’IGN pour une bonne partie de la France hexagonale et d’outre-mer (avec une couverture nationale complète prévue d’ici fin 2026, hors Guyane) élargit considérablement les perspectives d’étude et de visualisation 3D des reliefs anthropiques. Dans le même temps, l’avènement de l’Intelligence Artificielle (IA) et des méthodes d’apprentissage profond contribue à renouveler les approches génériques de cartographie automatisée et de modélisation spatiale appliquées à ces objets.
Axe 3 – Artialisation des reliefs : patrimoines in situ et ex situ
Les communications relevant de l’axe 3 permettront d’explorer les contours d’une géomorphodiversité artialisée, où les formes de relief peuvent constituer le décor ou le motif privilégié pour des formes d’art et de représentations variées (dessin, gravure, peinture, photographie, film… ; Portal, 2012 ; Sellier 2020), autant d’œuvres pouvant être apparentées à des éléments d’un patrimoine géomorphologique ex situ (Bétard, 2017). Le relief peut aussi être le support in situ d’une représentation artistique (paroi rocheuse servant de support à l’art pariétal paléolithique, formes d’art brut comme les rochers sculptés de Rothéneuf en Bretagne) pouvant aller jusqu’à des formes de sculpture monumentale à vocation mémorielle (Mont Rushmore aux Etats-Unis) ou religieuse (Bouddhas géants de la vallée de Bâmiyân). Le relief lui-même peut faire l’objet d’un processus de création artistique ou architecturale (aménagement d’un parc paysager intégrant la création ex nihilo de reliefs ou l’imitation de modelés), pouvant parfois constituer l’œuvre elle-même (formes célèbres de Land Art/Earth Art/Earthworks comme Broken Circle/Spiral Hill réalisées par l’artiste américain Robert Smithson). Pour la réalisation de ces œuvres permanentes ou éphémères, les artistes ont pu mobiliser des matériaux naturels (roches, colorants naturels…), artificiels (béton, polypropylène…) ou des ressources dématérialisées (art digital, maquettes 3D numériques…). Enfin, cet axe pourra s’intéresser aux reliefs imaginaires qui participent à l’immersion des lecteurs et spectateurs dans des mondes pittoresques, fantastiques et sciences-fictionnels et dont les formes, quand elles s’appuient sur des configurations réelles, s’inscrivent dans une dimension géopatrimoniale (ex. la saga Le Seigneur des Anneaux et les reliefs néo-zélandais).
Bibliographie :
– Ancelin, P.Y., Berthe, J., Krauffel, T., Devos, A., Laratte, S. (2025). A Geoheritage perspective on « Séré de Rivières » fortifications: LiDAR contributions to the assessment of war landform erasure in the Reims fortified belt (Marne, France). Géomorphologie: relief, processus, environnement, 30(4), https://doi.org/10.4000/13t2i
– Bertrand, C., Bertrand, G. (2014). La nature-artefact : entre anthropisation et artialisation, l’expérience du système GTP (Géosystème-Territoire-Paysage). L’Information géographique, 78(3), 10-25.
– Bétard, F. (2013). Patch-scale relationships between geodiversity and biodiversity in hard rock quarries: case study from a disused quartzite quarry in NW France. Geoheritage, 5(2), 59-71.
– Bétard, F. (2017). Géodiversité, biodiversité et patrimoines environnementaux. De la connaissance à la conservation et à la valorisation. Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université Paris-Diderot, Vol. 1, 270 p.
– Borderie, Q., Banerjea, R., Bonnet, S., Devos, Y., Nicosia, C., Petit, C., Salomon, F., Schneider, N., Wouters, B., Wuscher, P. (2020). Géoarchéologies des contextes urbains : mieux comprendre les modalités de l’artificialisation des géosystèmes. Archimède : archéologie et histoire ancienne, (7), 141-157.
– Crofts, R., Gordon, J.E., Brilha, J., Gray, M., Gunn, J., Larwood, J., Santucci, V.L., Tormey, D., Worboys, G.L. (2021). Lignes directrices pour la géoconservation dans les aires protégées et conservées, No. 31, Gland, Suisse, UICN, https://doi.org/10.2305/IUCN.CH.2020.PAG.31.fr
– Delannoy, J.J., Berthet, J., Stouvenot, C., Monney, J. (2022). Morphogenèse des espaces ornés de plein-air en milieu tropical humide : analyse archéo-géomorphologique des sites d’art rupestre précolombiens de Trois Rivières (Guadeloupe, Petites Antilles). Géomorphologie : relief, processus, environnement, 28(1), 33-51.
– De Matos‐Machado, R., Toumazet, J. P., Bergès, J. C., Amat, J. P., Arnaud‐Fassetta, G., Bétard, F., Bilodeau, C., Hupy, J., Jacquemot, S. (2019). War landform mapping and classification on the Verdun battlefield (France) using airborne LiDAR and multivariate analysis. Earth Surface Processes and Landforms, 44(7), 1430-1448.
– Fraj, T.B., Reynard, E., Messedi, A.G., Ouezdou, H.B. (2023). Temporal scale imbrication and its importance for interpretation in geocultural sites in Jebel Dahar (Southeast Tunisia). International Journal of Geoheritage and Parks, 11(4), 553-573.
– Frochot, B., Godreau, V. (1995). Intérêt écologique des carrières, terrils et mines. Natures Sciences Sociétés, 3, s66-s76.
– Gray, M. (2013). Geodiversity: Valuing and Conserving Abiotic Nature. 2nd Edition. John Wiley & Sons Ltd, Chichester, 508 p.
– Panizza, M., Piacente, S. (2003). Geomorfologia culturale. Pitagora ed., Bologne, 350 p.
– Piau, T., Bétard, F., Dugast, F. (2023). Inventory and assessment of geoarchaeosites in the Middle Eure Valley (Paris Basin, France): An integrated approach to geoarchaeological heritage. International Journal of Geoheritage and Parks, 11(4), 669-687.
– Portal, C. (2012). Du socle au paysage : essai pour un nouveau regard sur les reliefs, Projets de paysage [En ligne], 8, mis en ligne le 13 juillet 2012, https://doi.org/10.4000/paysage.15863
– Portal, C., Bétard, F. (2019). La géodiversité représentée. Entre art, sciences et imaginaires géographiques. Une introduction. Géomorphologie : relief, processus, environnement, 25(3/4), 141-149.
– Reynard, E. (2005). Géomorphosites et paysages. Géomorphologie : relief, processus, environnement, 11(3), 181-188.
– Reynard, E., Perret, A., Bussard, J., Grangier, L., Martin, S. (2016). Integrated approach for the
inventory and management of geomorphological heritage at the regional scale. Geoheritage, 8(1), 43-60.
– Sellier, D. (2020). La représentation du relief de Pegwell Bay (Kent) par William Dyce : géomorphosite et peinture de paysage, Physio-Géo, 15(1), 161-182.
– Watteaux, M. (2014). La terre en héritage. L’archéogéographie, une nouvelle discipline au carrefour des spatiotemporalités. EspacesTemps.net, mis en ligne le 27 août 2014, https://www.espacestemps.net/articles/la-terre-en-heritage/
