Les dimensions géographiques des séries télévisées –

Saison 3
Marges, confins et « bouts du monde »

– Séance du 14 novembre 2025 –

Université Paul Valéry Montpellier,
Site Saint-Charles rue Henri de Serre, 34090 Montpellier

Coordonnateurs :

Pierre DENMAT

pierre.denmat@gmail.com

Agrégé de géographie, docteur en géographie, Université Paris Nanterre, LAVUE (équipe Mosaïques)

Monica MICHLIN

monica.michlin@univ-montp3.fr

Professeure en études américaines contemporaines – Université Paul Valéry – Montpellier 3,

UR 741 EMMA

Marie-Laure POULOT

marie-laure.poulot@univ-montp3.fr

Maîtresse de Conférences en géographie, Université Paul-Valéry – Montpellier 3,

Laboratoire ART-Dev – Acteurs, ressources et territoires dans le développement, UMR 5281


– PROGRAMME –

 

Modalités : Intervention 20 mn et 10 mn d’échanges

 

09h30 – 10h : Introduction : « Marges, confins et « bouts du monde » : quelles lectures par les séries télévisées ? » :

Pierre DENMAT (Agrégé et docteur en géographie – CPGE Lycée La Bruyère – LAVUE, équipe Mosaïques) ; Monica MICHLIN (Professeure en études américaines contemporaines, UMPV, EMMA UR 741) ; Marie-Laure POULOT (Maîtresse de Conférences en géographie, UMPV, UMR 5281 ART-Dev).

10h-12h : Séries et marges : produire depuis la marge ou créer la marge

 Présidence : Edith FAGNONI

Professeure de géographie, Sorbonne Université, Laboratoire Médiations, sciences des lieux – sciences des liens, Sorbonne Université, et membre associé de l’EIREST, Université Paris1 Panthéon-Sorbonne. Présidente de l’Association de Géographes Français.

10h15 : Produire les séries depuis la marge

10h15 : Charles MARQUES (Doctorant en géographie, Sorbonne Université, Laboratoire Médiations) : « Montpellier et la région Occitanie, de la marge au centre. Approche régulationniste d’un secteur productif en voie d’industrialisation »

 Résumé :

Le secteur de la production du cinéma-audiovisuel a longtemps été un exemple de la centralisation, 50 % des tournages en France ont lieu en Île-de-France et 54 % des emplois de la filière sont concentrés en Île-de-France1. Les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel connaissent depuis le milieu des années 1990 un progressif mouvement de décentralisation. Ce phénomène s’explique en partie par les politiques de décentralisation entreprises depuis 1982, par les initiatives régionales au cours des années 1990 et par le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) à travers une politique conventionnelle, débutée en 1989 avec les collectivités territoriales, devenue les conventions CNC-État-Région en 2004. Le duo région/métropole initié par la loi NOTRe (loi 2015-991 du 7 août 2015) fait des capitales régionales les acteurs privilégiés des politiques de développement de la filière par le CNC, comme l’illustre les lauréats du plan d’industrialisation du secteur France 2030 « La grande fabrique de l’image » : Paris, Lille, Marseille. Toutefois, le cas de Montpellier avec deux studios de tournages lauréats en plus d’organismes de formations et de VFX est en défaut de cette logique, du fait de la très forte activité par rapport à la capitale régionale.

Cette communication propose d’analyser le cas montpelliérain afin de comprendre comment Montpellier est passé d’une métropole en marge de l’industrie du cinéma-audiovisuel français à un centre de production de la région qui accueille le plus de tournages de production audiovisuelle sur le territoire national. Nous procéderons dans une approche régulationniste, rejoignant les travaux de Bernard Pecqueur ou Thomas Lamarche, soit une analyse à l’échelle méso-scalaire. Cette approche issue de l’économie politique place les logiques spatiales de l’activité économique en tant que données importantes de son raisonnement, avec pour objectif d’identifier les spécificités des différents secteurs économiques et leur complémentarité. Il s’agit ainsi de comprendre la production audiovisuelle de Montpellier à partir des formes institutionnelles, au sens large, qui permettent l’activité économique, portant un regard de géographe au croisement de l’économie, du politique et du culturel.

Nous présenterons dans un premier temps le contexte historique qui explique les initiatives économiques et politiques du développement de l’activité au sein de cette métropole, nous analyserons ensuite les déplacements économiques et culturels que ces politiques ont sur la métropole, au sens des travaux de Bob Jessop, pour comprendre l’évolution du système productif local, enfin nous étudierons les potentiels éléments perturbateurs des formes institutionnelles pouvant amener à une crise, élément central de l’approche régulationniste, du secteur de l’audiovisuel nécessitant la recherche de nouveaux compromis institutionnels pour permettre à l’activité sur le territoire de perdurer.

 

10h45 : Créer la marge dans les séries

10h45 : Aurore ROBILLARD (PRAG en anglais, Université du Havre-Normandie, Doctorante Paris 3, ED 625 MAGIIE – EA 4398 PRISMES) :

« Identités et insularités : Midnight Mass (2021) et la réécriture de la marginalité étatsunienne »

 

Résumé :

Mise en ligne sur Netflix en 2021, la mini-série en sept épisodes Midnight Mass (Sermons de minuit en français) créée par Mike Flanagan se distingue par son locus unique, l’île de Crockett Island. Son isolation en est un marqueur important, puisqu’elle est située à « 30 kilomètres » des terres étatsuniennes et que la diégèse met un point d’honneur à souligner l’isolation géographique de ce lieu. Singulièrement, sa location exacte sur les côtes des États-Unis n’est jamais précisée, menant le public à chercher des indices géographiques et topologiques afin de la placer sur une carte.

Toutefois, il semble que l’ancrage géographique de Crockett Island repose davantage sur des indices littéraires que sur une cartographie classique. En effet, le récit se fait d’un tissu de motifs et d’éléments narratifs provenant de récits de la Nouvelle-Angleterre du dix-neuvième siècle, notamment des œuvres de Nathaniel Hawthorne et d’Edgar Allan Poe. Cela concerne également le niveau métatextuel, puisque les titres des épisodes font chacun référence à un titre de Livre de la Bible, liant ainsi les épisodes entre eux vers une chronologie eschatologique (et conceptualisant ainsi un espace semblable au purgatoire). L’espace sériel est alors conçu comme un véritable maillage de références intertextuelles, qui se trouvent « de/reterritorialisées » selon la définition de Deleuze et Guattari. L’isolation apparente de l’île et sa marginalité sont ainsi reconfigurées par un partage de cette littérarité, marqué dans l’écriture par la présence de monologues et longs moments dialogués. 

Le partage forme un socle de l’esthétique choisie par Flanagan, par le choix du vampirisme comme élément central au récit, et puisque la création d’une autre formation communautaire est favorisée par l’isolation de la localisation choisie. Si les personnages n’hésitent pas à ostraciser certains d’entre eux et sont du premier au dernier épisode dans un huis-clos infernal à ciel ouvert, la série fait la part belle à l’espérance et au renouveau. En effet, les personnages principaux représentent des identités habituellement marginalisées (notamment aux États-Unis) : Riley Flynn est alcoolique, Sheriff Hassan est musulman, Dr. Sarah Gunning est lesbienne, Leeza Scarborough est en fauteuil roulant… En les plaçant au centre de l’intrigue, la série interroge justement l’isolation de ces individus et leur offre un espace d’expression et d’organisation où les relations de pouvoir sont redéfinies. Malgré la catastrophe annoncée, ils deviennent acteurs de leur vie et chaque choix les pousse, comme une force centripète, vers la rencontre et le partage communautaire (comme illustré par la quête de repentir de Flynn après avoir causé un accident mortel). Leur construction identitaire est étroitement liée à leur appartenance à l’île ainsi qu’à leur marginalisation sociale. L’insularité géographique est donc mise en parallèle dans sa potentialité avec cette marginalisation ; elle est également incarnée par le genre de la série, l’horreur étant un genre historiquement à la marge.

Ainsi, Midnight Mass met en lumière la capacité des espaces de marge, notamment insulaires, à être des lieux privilégiés de construction narrative et pouvant nourrir la forme sérielle. Ces lieux, à la fois réels et imaginaires, deviennent des terrains d’exploration pour les enjeux de pouvoir, d’appartenance et de réinvention, qui offrent à la fois une réflexion sur la géographie et sur les dynamiques sociales, politiques et culturelles étatsuniennes.

11h15 : « Se construire dans la marge et construire une marge dans la série danoise The Rain »

Benoît BUNNIK (PRAG en géographie, Docteur en géographie, Université de Corse, Laboratoire EMA, Cergy Paris Université) : 

 Résumé :

La série danoise The Rain (Netflix, 2018) imagine en trois saisons (20 épisodes) un monde dans lequel, suite à une catastrophe initiée par des essais médicaux de la société Apollon, une pluie tueuse s’abat sur le pays. La gestion de la crise est pensée comme échappant aux autorités politiques. Dès lors, une partie du pays, intégrant Copenhague, entre sous la coupe de la société pharmaceutique privée Apollon. C’est cette dernière qui a créé le virus et qui, en apprenti sorcier, en cherche le médicament. Cette zone de quarantaine souillée, menaçante devient un territoire (Brunet 1992), une marge (Prost, 2004) fermée, habitée (Stock ; Lazzarotti ; Lussault) et privatisée par la société Apollon. 

La série permet de comprendre plusieurs aspect de ce qui définit une marge comme un territoire (Pesqueux, 2014) de l’à côté, en stock (Harvey, 2008), mais aussi un territoire de l’expérimentation scientifique et sociétale (Bazin, 2015, Rolland-May, 2001) : une nouvelle société s’y construit, dans sa complexité en dehors voire face à l’État. C’est ainsi un antimonde (Brunet). Plus que le mur qui enferme symboliquement et concrètement les personnes qui y résident, c’est une série de lieux et de géosymboles (Bonnemaison, 1981) sont montrés montrant un territoire se construisant en archipel associant des bunkers sécurisés, des bases de recherche ou d’expérimentation, des fermes, un manoir et un campement vus comme lieux d’une vie normale (celle d’avant la catastrophe). La forêt, décor de la saison un, puis territoire régulièrement fréquenté et traversé sert de support à ce territoire.

Ce territoire est une construction humaine permanente avec des acteurs en mouvement qui prennent possession des lieux par une déambulation complexe entre ville et campagne par un réseau de pistes, routes et points de repères nouveaux (le mur, des bunkers, la base d’Apollon) ou anciens (un parc de loisirs, des fermes, les anciennes habitations, la ville et ses commerces, …), un monde violent marqué par l’incertitude, une forte vulnérabilité, la fuite.

Les acteurs créant cet espace et ce territoire sont peu nombreux, divisés entre des « bons » (Simone et son frère Rasmus porteur du virus et médicament potentiel, Martin le déserteur, etc.) et les « méchants » (Sten, le dirigeant d’Apollon et ses soldats). Tous créent une société parallèle, basée sur des réseaux humains complexes et instables, l’incertitude, la peur du lendemain, la recherche de nourriture par le déplacement et la quête d’un remède à la catastrophe. De ce fait, ils habitent un « territoire miroir » renvoyant à ce que vivent les marginaux des sociétés occidentales, voire une allégorie du Danemark, celui-ci étant explicitement évoqué dans la troisième année de la série comme une enclave saine, un isolat pur au milieu d’un monde dangereux.

Le regard sur le monde proposé par la série (Raoulx, 2006) permet ainsi une analyse d’un territoire évoluant entre réel et imaginaire (Coulouma et Pichard, 2020) propice, comme dans de nombreuses séries scandinaves à livrer une critique de la société (Sérisier, 2016).

 

11h45 : « Des mythes fondateurs aux confins hyperréels : construction et déconstruction des espaces géographiques dans la série Yellowstone (Taylor Sheridan, Paramount, 2018- 2024) et ses prequels 1883 (2021, Paramount) et 1923 (2024 Paramount) »

Nadia FUCHS (PRAG en anglais, Université Côte d’Azur, EUR CREATES) :

 Résumé :

Cette communication se propose d’étudier comment les trois séries de la franchise « Yellowstone », qui mettent en scène la famille fictive Dutton et l’histoire de son établissement dans le sud-est du Montana, représentent et construisent les espaces géographiques de manière différente selon chaque opus. Leur point commun est que les trajectoires de la saga (du Texas au Montana dans 1883, du Kenya au Montana dans 1923, le ranch de Yellowstone dans la série éponyme) ont le même point de fuite, le même bout du monde diégétique, la propriété de la famille Dutton.

Les trois fictions ont des dynamiques sérielles et spatiales très différentes. 

Dans 1883 l’espace est marqué par l’imaginaire de la conquête de l’Ouest et les violences de la colonisation et tient du mythe fondateur à la fois des Etats-Unis et du territoire Yellowstone, puisque James Dutton et sa famille aide un groupe d’immigrés européens à gagner l’Oregon. Les lieux géographiques, clairement identifiés pour le spectateur, sont représentés à la fois à travers une esthétique visuelle particulière et à travers la voix-off d’Elsa Dutton, qui décrit les émotions intenses que lui procure la nature environnante.  Le ranch sera construit à l’endroit où elle sera enterrée après sa mort prématurée, qui marque la fin de la série.

1923 définit trois types d’espace qui sont à la fois construits par les personnages et qui définissent leur identité, celle-ci étant perçue et modifiée en fonction des territoires où ils se trouvent.

Le premier, point de fuite des deux autres, est le ranch de Yellowstone, dirigé par Jacob Dutton et  le symbole d’un mode de vie patriarchal, blanc, le résultat de la conquête de l’ouest. contre les conditions climatiques, mais surtout contre des cow-boys hors-la-loi ne respectant pas les règles de loyauté que suivent les hommes de la famille, et contre les ambitions d’un puissant homme d’affaires, voulant créer une zone touristique à la place du ranch.

Le second type d’espace est présenté au fil des tribulations d’un neveu de la famille Dutton, Spencer, et de la femme, qui quittent le Kenya pour rallier et défendre le ranch au Montana. Leur épopée symbolise ici celle des Européens immigrant en Amérique. Les territoires géographiques conditionnent en quelque sorte les identités des deux personnages qui sont perçus différemment dans les espaces qu’ils traversent.

Un dernier arc narratif se concentre sur Teonna Rainwater, recherchée et poursuivie après sa fuite d’une école gouvernementale visant à « civiliser » les Amérindiens. Les espaces sont construits par rapport à la situation géopolitique des territoires et de leur attitude envers les peuples autochtones.

Les cinq saisons de la série Yellowstone (diffusées avant ses prequels) se situent presque exclusivement sur le territoire du ranch dans le Montana, et ses alentours, la ville voisine et la réserve amérindienne. Ce territoire est construit par la narration comme un confin, un bout du monde à la fois géographique, et diégétique. Il symbolise la fin d’un mode de vie présenté comme authentiquement « américain », blanc, masculin, très patriarchal, celui du ranch, des cow-boys, d’une exploitation des terres raisonnées, mais aussi capitaliste, individuel, où la famille et ses terres doivent être défendues à tout prix contre les ambitions notamment de grands groupes financiers voulant développer le tourisme et construire un aéroport. Ce projet touristique prévoit d’offrir à ses futurs clients l’expérience de la vie sur un ranch, donc de le transformer en espace hyperréel.   

La manière dont cet espace est créé enferme le spectateur dans un bout du monde clos, et son seul point de repère constant, son locus est le ranch, identifié par un « Y » géant intégré à son fronton. En effet, il n’y a pas d’indication de direction géographique donnée dans la diégèse et les paysages ne sont pas immédiatement identifiables comme étant au Montana.

Le nombre de lieux dans lesquels se situent la diégèse est limité et ils se concentrent dans la même vallée, la ville de Bozeman, le ranch et ses alentours, et la réserve amérindienne (même si quelques épisodes se déroulent au Texas), et au bout de quelques épisodes de présentation des personnages, la série feuilletonnante prend des allures de série formulaire. Ceci renforce cette impression de monde clos autour de la famille Dutton, de ses terres, et de la préservation de son mode de vie reprenant les clichés du western mais d’une manière statique, puisque dans le même espace géographique. 

Même si John Dutton refuse que sa propriété ne devienne une attraction commerciale, il a déjà établi la marque de son ranch Yellowstone et son logo « Y » à la fois sur la maison, sur son bétail et sur la peau de ses employés, marqués au fer rouge, ce que reflète de manière métadiégétique la franchise « Yellowstone » de Paramount.

12h – 13h30 : pause déjeuner

13h30-16h : Mettre en évidence et dénoncer la marginalité dans les séries

 

Présidence :

Marie-Laure POULOT, Maîtresse de Conférences en géographie, UMPV, UMR 5281 ART-Dev et Pierre DENMAT, Agrégé et docteur en géographie – CPGE Lycée La Bruyère – LAVUE, équipe Mosaïques

13h45 : La mise en évidence des marginalités françaises à travers les séries

13h45 :  « Or, jungle et frontières : Guyane ou la fabrication d’un bout du monde français »

Victor PIGANIOL (Docteur en géographie – Université Bordeaux Montaigne) :

Résumé :

Diffusée par Canal+ en 2017-2018, la série Guyane transforme l’intérieur amazonien d’un département ultramarin en marge extractiviste où se rencontrent aventure, crime et colonialité persistante. En suivant Vincent Ogier, jeune géologue métropolitain, et Serra, patron d’un réseau d’orpaillage clandestin, la fiction met en lumière quatre dynamiques géographiques majeures.

  1. La frontière aurifère, confins liquide. Les fleuves Maroni et Oyapock jouent le rôle d’axes logistiques d’un marché illégal qui ignore les bornes étatiques. Pirogues, petites pistes fluviales et campements mobiles font du confins un espace « en surface » (J. Lévy) : un emboîtement d’autorités françaises, brésiliennes, garimpeiros, groupes rebelles et forces de l’ordre. Ce secteur liminal rappelle que la marge ne se lit pas en kilomètres, mais dans la porosité des contrôles et des souverainetés concurrentes.
  2. Marginalisation et extraction. La série dévoile des marginalités croisées : orpailleurs immigrés, communautés amérindiennes, fonctionnaires isolés. La jungle devient le théâtre d’une écologie politique violente : mercure polluant les rivières, déforestation accélérée, flambée de malaria. Les risques se distribuent inégalement : richesse pour un petit nombre, maladies et répression pour la périphérie guyanaise, tandis que la métropole demeure distante mais vorace en matières premières. Guyaneexpose ainsi l’articulation entre marge socio-spatiale et périphérie coloniale.
  3. Territorialités imaginées et performées. Saint-Élias, village fictif au cœur de la forêt, fonctionne comme hétérotopie extractiviste : eldorado rêvé par les aventuriers, zone de non-droit pour l’administration. Le filon mythique « Sarah-Bernhardt » nourrit un récit d’ascension sociale ; chacun projette sur la jungle ses fantasmes de fortune ou de rédemption. Le corps même de Vincent, lacéré d’insectes et recouvert de boue, devient carte sensible de cette marge : c’est en endurant la forêt qu’il accède à la connaissance du territoire.
  4. Production audiovisuelle et visibilisation d’un « Sud » français. Tournée presque entièrement in situ (Régina, Kaw, Saut-Maripa), Guyanemêle acteurs professionnels et figurants locaux. Ce dispositif brouille les frontières entre fiction et documentaire, tout en offrant aux communes concernées une vitrine inédite. Depuis 2017, les offices de tourisme promeuvent des circuits « sur les traces de la série », tandis que médias et politiques réactivent le débat sur l’orpaillage. La mise en image convertit donc un espace longtemps invisibilisé en décor premium, révélant la réversibilité de la marge : du stigmate d’illégalité à la ressource touristique et médiatique.

En articulant marge spatiale (jungle enclavée) et marge juridique (zone grise de l’or illégal), Guyane déplace la focale vers un Sud français souvent absent des imaginaires nationaux : un confins amazonien inséré dans la République mais régi par des logiques globales. La série montre aussi comment la médiatisation attire capitaux et attention écologique, sans pour autant annuler les inégalités qu’elle met en scène. Guyane offre donc un terrain idéal : elle questionne la fabrication d’un bout du monde à l’intérieur même de l’État français, explore la tension entre exploitation extractive et souveraineté territoriale, et interroge la capacité des images à transformer une périphérie coloniale en scène géopolitique mondiale.

 

14h15 : « Des marges visibles à l’écran ? Récits et représentations des départements d’Outre-mer dans les séries françaises contemporaines »

Natacha GOURLAND (Maître de Conférences en géographie – Université Evry d’Evry-Val-d’Essonne. Laboratoire IDHES – Chercheuse associée au laboratoire PLACES, CY université) et Clémentine LEHUGER (docteure en science politique, chercheuse associée au CURAPP-ESS. Post-doctorante projet TEROM) :

 

Résumé :

Les départements d’Outre-Mer sont fréquemment invisibilisés dans l’espace médiatique hexagonal (Rapport du Sénat n° 439 – 2019). Lorsqu’ils ne le sont pas, ils sont souvent perçus et représentés depuis la France Hexagonale comme des « bouts du monde », une expression qui traduit le point de vue métropolitain qui domine sur ces territoires et le rapport de domination entre centre et périphéries qui prévaut dans l’imaginaire collectif. 

Cette proposition de communication interroge les représentations des département et régions d’Outre-mer construites par la fiction française à travers un corpus de sept séries télévisées : Meurtres au Paradis et Tropiques Criminels pour les Antilles, Guyane et Les fantômes du Maroni pour la Guyane, Cut et OPJ pour la Réunion, et Colocs ! pour Mayotte.  

La problématique centrale examine les tensions entre exotisation, invisibilisation et tentatives de réappropriation des récits et des identités locales. Que révèlent ces séries des dynamiques centre/ périphérie au sein de l’espace national ? Quelles modalités de représentation sont utilisées pour mettre en scène les DROM (exotisme, folklore, langues, accents, noms, musique, paysages, violence, créolisation…) ?  Si l’Outre-mer reste globalement marginal dans l’espace médiatique national et que certaines séries mobilisent un traitement marginalisant de ces territoires, nous montrerons que d’autres productions ouvrent néanmoins la voie à des formes de narration plus autonomes et ancrées. 

Cette communication repose sur une démarche qualita.ve croisant l’analyse des contenus du corpus et une approche critique des représentations spatiales à l’œuvre dans les séries. Cette communication est également à replacer dans le cadre du projet TEROM, qui porte sur les télévisions et radios locales en outre-mer. Ce projet est conduit en binôme à la suite de l’appel du ministère de la culture « Enquête sur les pratiques culturelles dans les DROM » (2024-2025) et a donné lieu à deux terrains de recherche réalisés en 2024 : l’un en Guyane (printemps) et l’autre à la Réunion (automne-hiver). Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes intéressés à la production des contenus audiovisuels telles que les séries à l’échelle locale, et à la manière dont ces contenus étaient perçus par les habitant·es ultra-marins. 

 15h : Dénoncer la marginalité et la marginalisation

Chiara SALARI (Research fellow – Université Sapienza, Rome, docteure en études visuelles) : « Marginal spaces and sacrificed communities. The representation of “Cancer Alley” (Louisiana) in the first season of the TV series True Detective »

 Résumé :

My contribution addresses the notion of “margins” by investigating the relations between marginal spaces and socio-environmental inequalities in True Detective S1 (Nic Pizzolatto, 2014). This TV series first season is set in the industrial corridor of the lower Mississippi river in Louisiana (between Baton Rouge and New Orleans), also called “Cancer Alley”, as the region’s inhabitants suffer high rates of disease and disability, due to their exposure to extremely high levels of dangerous toxins. Industrial pollution is symptomatic of poverty, marginalization, and precarious living conditions, as this “sacrifice zone” impacts some populations more than others – low income and racialized communities who do not have the means to move to cleaner places – presenting  issues of “environmental racism” and “slow violence”.

The narrative does not explicitly involve the region’s oil industry, but it unfolds in a landscape of petrochemical plants and oil refineries. Moreover, the presence of hurricanes proves central to the plot through the destruction of records and the disruption of social order. Interweaving the effects of floods and pollution, the first season of True Detective reveals the proximity of the toxic areas to the inhabitants, and the deterioration of public infrastructure in South Louisiana. Indeed, its cinematography relies on a series of long, wide-angled, and aerial shots to show the proximity of industrial waste to human communities, and many settings (like abandoned places) reveal the presence and effects of hurricanes.

This paper will focus on the analysis of three aspects of True Detective S1:

– The opening sequence, which borrows images from Petrochemical America (2012), a collaboration between photographer Richard Misrach and landscape architect Kate Orff on the environmental and human costs of petroleum industry development in “Cancer Alley”. While a photograph of a desolate house that appears to have been abandoned mid-construction evokes the empty promise of community rebuilding in coastal Louisiana following Hurricane Katrina in 2005 and the devaluation of property in the region’s Chemical Corridor, the image showing a silhouette of a refinery and a sugar cane field creates a connection between the industrial plant and the racial legacies of the Plantation South. 

– The initial crime scene, that is also set in a sugarcane field, asserting a thematic link between the violence of petromodernity and that of plantation slavery. While a series of massive power lines tower over the scene, the cane fields are in the foreground, insisting on the entwinement of both the petrochemical industry (Louisiana’s main industry in the present) and a sugar monoculture (Louisiana’s main economy in the past and still thriving in the present). 

– The moments when the two protagonists comment on the landscape of their lives, first suggesting a link between the materials and residue of the state’s petro-industry with the corruption lurking in the community, then acknowledging the disruptive force of the Gulf Coast oil complex and its contribution to the imminent collapse of coastal communities, that conjures the precarity of living in the US’s oiliest region.

 

15h30 : « Un point au hasard sur la carte : Poker face et l’Amérique des confins »

Jessy NEAU (MCF en littératures comparées, Université de Poitiers, membre du FoReLLIS) :

 

Résumé :

Poker Face (Peacock, 2023-) combine une intrigue policière à la Columbo (le meurtrier est connu dès le début de l’épisode) avec l’esthétique des frères Coen (humour, personnages marginaux, dialogues et cinématographie). Natasha Lyonne y incarne Charlie Cale, une fugitive qui possède le don de détecter le mensonge. Parcourant l’Amérique au volant de sa Plymouth afin d’échapper à de dangereux criminels de Las Vegas – son don l’ayant mise en difficulté avec le casino où elle exerçait – elle se trouve, à chaque épisode, involontairement confrontée à un meurtre à résoudre, systématiquement dans un lieu distinct, généralement où elle a temporairement trouvé un emploi. La première saison nous conduit ainsi d’une station-service du Nouveau-Mexique à un ancien chalet hivernal du Colorado, en passant par un barbecue joint texan, un parcours de karting dans le Tennessee, et une multitude de motels, diners, et autres lieux non précisément situés. 

Géographiquement, les états représentés sont principalement périphériques (Midwest, Sud), et à l’intérieur de ces derniers, les intrigues sont situées en dehors des grandes agglomérations. En effet, à la fin de chaque épisode, Charlie choisit un point au hasard sur la carte pour sa prochaine étape, en évitant les grands axes et les métropoles. Charlie réincarne la figure de la nomade et de l’héroïne« on the road », telle qu’elle a été récemment réinvestie dans plusieurs œuvres cinématographiques et télévisuelles contemporaines – un nomadisme subi, mais non contraint par des impératifs économiques, ni par un choix politique. 

Les lieux où se développent les intrigues sont souvent des archétypes de la mythologie américaine, ainsi que des lieux de consommation, comme la station-service ou le strip mall, présentés avec une esthétique cinématographique marquée. Cependant, ils sont en déclin, très souvent vides, et entrent en tension avec des symboles de la modernité : une chaîne de restauration rapide qui s’intègre à un vieux centre commercial et où les serveurs font aussi de la livraison Uber eats, rêvant par ailleurs de devenir influenceurs ; des bars routiers décrépis ; un barbecue joint menacé par le végétarisme de son co-fondateur. Les maisons de retraite et gated-communities situées au milieu d’espaces vides sont aussi représentées, et chaque épisode plonge dans une nation de travailleurs souvent précaires mais dévoués : chauffeurs routiers, concierges d’immeubles ou d’écoles (janitors), ouvriers agricoles, employés de centres de bricolage. Leurs rêves et aspirations sont fréquemment contrariés, et on observe un mélange entre l’économie des petits boulots (gig economy) et les métiers traditionnels. 

Ces espaces marginaux constituent cependant et paradoxalement des points de repère et de convergence pour des communautés plus hétérogènes qu’il n’y paraît. Cette caractéristique hybride (marge mais centre pour les micro-communautés, déclin et persistance) témoigne, et c’est ce que je souhaite démontrer, de la capacité de cette série à opérer une autre forme d’hybridation – réactivant d’anciens mythes et schémas narratifs (le « case-of-the-week ») et les combinant à une écriture sérielle résolument contemporaine, dimension géographique et dimension esthétique/générique se nourrissant mutuellement.

 

 16h : Conclusion et perspectives

Edith FAGNONI (Professeure de géographie, Sorbonne Université, Laboratoire Médiations, sciences des lieux – sciences des liens, membre associé de l’EIREST Université Paris1 Panthéon-Sorbonne, et Présidente de l’Association de Géographes Français) et Monica MICHLIN (Professeure en études américaines contempo

Alors que les travaux de recherche sur les aspects géographiques des séries télévisées étaient très dispersés jusqu’à maintenant, l’Association de géographes français a fait le choix de les mettre en exergue depuis 2022. Deux premières journées d’étude ont permis de structurer les réflexions sur les séries télévisées en géographie, ce qui n’avait encore jamais été fait dans le champ disciplinaire. La première saison de la journée d’étude – et le numéro spécial du BAGF associé [Poulot, Denmat et Pleven, 2023] – ont interrogé les dimensions géographiques des séries télévisées en faisant un état des lieux des travaux existants. Le propos était d’envisager, au travers d’exemples, les représentations d’un territoire et des horizons géographiques différents, en ouvrant notamment des perspectives sur des séries produites dans les Suds. La seconde journée s’est focalisée sur les espaces urbains et a souhaité questionner les méthodologies et les croisements disciplinaires pour aborder les dimensions géographiques des séries. Les communications, portant sur des méthodologies à la fois quantitatives et qualitatives ont été abordées, ce qui a permis de faire émerger plusieurs propositions méthodologiques pour étudier les séries en géographie. Le numéro associé du BAGF est en préparation.

Une troisième saison portant sur les marges, confins et bouts du monde dans les séries télévisées

Pour cette 3ème journée, la thématique retenue est celle des marges, confins et « bouts du monde » au sein et au prisme des séries. Seront analysés des lieux et des espaces éloignés des grands centres et pôles urbains, des territoires autres, des espaces limites. Les trois notions éminemment géographiques et aux définitions mouvantes et polysémiques font écho aux autres disciplines.

Marges. On entend interroger à la fois l’état des lieux – la marge –, « ce qui entretient une relation inégale avec d’autres éléments d’un système » – la marginalité – et le « processus en cours, à venir ou abouti, qui met à distance un territoire et ses sociétés » – la marginalisation [Depraz, 2017]. Ces différents aspects de la notion interrogent des inégalités voire de l’injustice au travers de la précarité, de l’isolement ou de la relégation. A contrario, la marge peut aussi laisser place à une forme de liberté et d’innovation.

Confins. « Par opposition à la frontière, qui répond à la figure géométrique de la ligne, les confins se présentent comme une surface co-appartenant aux deux espaces en interface », renvoyant aux « marches », aux espaces fragiles ou encore aux espaces où les frontières ne seraient pas complètement fixées et où les interpénétrations et les contacts sont importants [Lévy, 2003].

Bouts du monde. Si elle relève plus du langage commun, cette expression a fait l’objet de travaux et d’études tant en géographie qu’en anthropologie. Ricardo Ciavolella (2023) revient sur les figures multiples de ces « bouts du monde » ou « trous perdus au milieu de nulle part ». Souvent qualifiés par des dénominations fictives, supports d’« utopies ratées ou hétérotopies négatives », ces « bouts du monde » évoquent à la fois les « rapports de domination entre centre et périphéries » et proposent une marge de liberté ou du moins d’évasion [Ciavolella, 2023].

Lors des deux premières journées d’étude, des communications avaient effleuré cette thématique sans qu’elle soit centrale : citons l’article de Benoît Raoulx [2023] sur Borgen saison 4 qui se déroule au Groenland ou encore celui de Benoît Bunnik [2023] qui analyse le territoire amazonien comme « territoire clos, une marge territoriale et une frontière » dans la série Frontera Verde, située en Amazonie. La question de la réversibilité de la marge était également au cœur de la proposition de Nicolas Marichez : les séries peuvent être vecteurs de revalorisation des imaginaires territoriaux, notamment pour l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais ou la Wallonie, voire de démarginalisation de certaines friches industrielles devenues lieux de tournage [Marichez, 2023].

Les communications attendues pour cette saison 3 analyseront les marges, confins et bouts du monde comme des lieux habités, appropriés, imaginés, représentés : comment les séries mettent-elles en scène ces espaces parfois enclavés ou mis à l’écart ? Les communications pourront interroger ce vocabulaire géographique qui a été largement diffusé dans l’univers des séries : les marges, confins et « bouts du monde » seront entendus comme des limites aux différentes échelles, de l’oekoumène comme des modes d’habiter urbains. Citons à l’échelle mondiale A Murder at the End of the World dont l’action se déroule principalement en Islande, True Detective saison 4 censée se dérouler en Alaska – mais en réalité filmée elle aussi en Islande, ce qui rappelle le décalage entre représentations et réalité géographique –, ou encore la série Top of the Lake où le paysage néo-zélandais (réel) est utilisé pour évoquer un sentiment de bout du monde où les personnages sont confrontés à des traumatismes et à des défis émotionnels [Radstone, 2017]. Rappelons qu’en anglais « the end of the world » signifie simultanément « bout du monde » sur le plan spatial et « fin du monde » (ou apocalypse) sur le plan temporel ; la dimension utopique/dystopique est forcément sous-jacente, et le « bout du monde » apparait comme un espace narratif surdéterminé.

Nous attendons des propositions s’attachant aux marges sociales et spatiales au sens large, dans les espaces urbains et ruraux, réels et imaginaires, à petite et grande échelle et dans leurs dynamiques en abordant la question des processus de marginalisation et démarginalisation. L’échelle intra-urbaine sera féconde pour analyser certains espaces marginalisés : voir The Wire [Bacqué, Flamand, Paquet-Deyris et Talpin, 2014] sur les quartiers abandonnés à Baltimore, ceux des terrains vagues et des « friches urbaines » (en anglais, « wasteland », « waste » signifiant à la fois « gâchis », et « rebut »). Espace dangereux dévalorisé, ce no-man’s-land reste pourtant territoire à (re)conquérir, dans des visées antagonistes, par les criminels, la police, les habitants et autres acteurs sur le terrain. Nous nous attacherons aussi aux espaces ruraux où la figure de la petite ville ou du bourg « est souvent conçue comme un bout-du-monde où la sociabilité serait forcément dégradée » [Billard et Brennetot, 2013].

Ressorts géographiques et tropes récurrents autour des marges, confins et bouts du monde

Si l’on suit Rachel Bouvet [2018], les confins peuvent désigner des « espaces de l’extrême, les déserts, les toundras, les forêts, les banquises et les océans [qui] incitent à la recherche d’absolu, à la méditation sur les origines ou sur l’avenir de l’humain et de la planète ». On aboutit à des tropes géographiques récurrents dans les séries télévisées (la forêt, la communauté isolée, l’île, les paysages enneigés du Nord, etc.) qui cristallisent des enjeux narratifs particuliers : illustration de la fuite, exemple paradigmatique de l’isolement ou encore la possibilité d’une auto-organisation – en autarcie ou non –, etc. Quelques pistes non exhaustives peuvent être évoquées.

La série télévisée Lost (2004-2010) constitue un des cas de marges îliennes où l’isolement crée un sentiment de confinement et d’inconnu, renforcé par la présence de phénomènes surnaturels (fumée noire, événements inexplicables, île qui peut « bouger »). La forêt constitue un autre motif récurrent, comme dans la série Twin Peaks, où elle conduit à l’isolement de la petite ville dans les montagnes et forêts du nord-ouest des États-Unis, créant une atmosphère de mystère et de surnaturel. La forêt revient également dans la série Dark comme un des traits géographiques qui tend à isoler la petite ville allemande, de même que les grottes permettant le voyage dans le temps. Citons encore la série télévisée Yellow Jackets qui place ses personnages au sein d’une forêt sauvage et isolée dans les montagnes du nord des États-Unis, interrogeant la possibilité de la survie dans un environnement isolé tout autant que l’humanité même des personnages. Enfin, la neige et les paysages enneigés du Nord forment une autre des figures de ces marges et bouts du monde représentés à l’écran : on peut penser au Minnesota rural et enneigé dans la série Fargo ou à l’isolement glacé de l’Arctique norvégien dans Fortitude.

Territorialités imaginaires, territorialités renégociées, territorialités nouvelles

La dimension imaginaire sera au cœur de cette nouvelle journée. En effet, les espaces de marges ou ces confins mis en scène dans les séries paraissent particulièrement propices à la création d’intrigues susceptibles de créer ou nourrir des territorialités imaginaires. C’est le cas de la série Lost [étudiée notamment dans le hors-série de la revue TV/Series en 2016, sous la direction de Claire Cornillon et Sarah Hatchuel, «Lost : (re)garder l’île »], mais aussi de certaines séries de science-fiction ou de space opera. Citons par exemple The Expanse, dont l’organisation géographique peut être lue à travers le modèle centre-périphérie, avec la Terre comme centre dominant, Mars comme périphérie proche en quête d’autonomie, et la Ceinture d’astéroïdes composée de colonies minières et de stations spatiales comme périphérie éloignée et plus ou moins marginalisée.

Se pose enfin la question de l’exotisme, notamment étudiée par Jean-François Staszak dans le cinéma [Staszak, 2011]. En effet, nombre de séries se déroulent dans des espaces exotiques d’un point de vue hexagonal (Meurtres au paradis ou Tropiques criminels, par exemple). Là encore, il s’agit de voir comment les séries investissent ces terrains perçus comme lointains et les représentations qu’elles construisent autour de cet exotisme.

Interroger les séries télévisées au prisme des marges, confins et bouts du monde, c’est donc réfléchir à en quoi les espaces retirés éloignés ou marginalisés constituent des espaces privilégiés ou non des séries télévisées. Quels sont les ressorts narratifs de ces séries télévisées en lien avec leur localisation géographique (marges, confins) ? Dans quelle mesure ces espaces de marges, franges ou bouts du monde constituent-ils des territoires ou des hauts lieux permettant de mettre au jour des processus narratifs mais aussi géographiques (rapports de pouvoir, échanges ou au contraire glacis des relations, (im)mobilités contraintes ou forcées, etc.) ?

Plusieurs approches nous semblent fécondes :

  1. Une analyse multiscalaire des espaces en marge (différents types de lieux sont envisageables : territoires de marges déjà évoqués – forêts, déserts, îles, etc., mais aussi prisons (séries carcérales nombreuses), banlieues, zones industrielles ou périphériques, cimetières, etc.)
  2. Une réflexion sur les différents types de marginalités mise en scène par les séries (pensons par exemple à la série Malditos consacré à la communauté rom, à la communauté de femmes en rupture dans la série Top of the Lake |Mayer, 2017], les réserves autochtones canadiennes dans la série Little Bird, )
  3. Une approche interdisciplinaire des marges et marginalités dans les séries
  4. La mise en visibilité des marges, espaces invisibilisés, par les séries et les effets socio-spatiaux sur ces espaces

Cette journée d’étude se veut ouverte à toutes les chercheuses et à tous les chercheurs qui étudient l’espace dans les séries télévisées ; elle ambitionne ainsi de poursuivre le travail pour ouvrir des perspectives méthodologiques solides dans l’étude des séries télévisées en géographie. Si les études nord-américaines sont largement majoritaires dans ce champ de recherche, cette troisième journée d’étude voudrait, comme les deux premières, élargir les horizons géographiques en étudiant la diversité des productions sérielles, notamment dans les pays « des Suds ».

 


 

 


 


 

 


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